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Dans la grotte de Bruniquel (Tarn-et-Garonne), à 336 mètres de l’entrée, des structures aménagées viennent d’être datées d’environ 176 500 ans. Cette découverte recule considérablement la date de fréquentation des grottes par l’Homme, la plus ancienne preuve formelle datant jusqu’ici de 38 000 ans (Chauvet). Elle place ainsi les constructions de Bruniquel parmi les premières de l’histoire de l’humanité. Par ailleurs, des traces de feu à proximité révèlent aussi que, bien avant Homo sapiens, les premiers Néandertaliens savaient utiliser le feu de manière à circuler dans un espace contraint, loin de la lumière du jour. Ces travaux, publiés le 25 mai 2016 dans Nature, ont été menés par une équipe internationale impliquant notamment Jacques Jaubert de l’université de Bordeaux, Sophie Verheyden de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB) et Dominique Genty du CNRS, avec le soutien logistique de la Société spéléo-archéologique de Caussade, présidée par Michel Soulier. Ils ont été soutenus par le ministère de la Culture et de la Communication.

La grotte de Bruniquel, un site exceptionnel

La grotte de Bruniquel, qui surplombe la vallée de l’Aveyron, a été découverte en février 1990. Grâce à l’équipe de spéléologues en charge de sa gestion, le site est impeccablement conservé avec de nombreuses formations naturelles (lac souterrain, calcite flottante, draperies translucides, concrétions en tous genres), des sols intacts recelant de nombreux ossements et des dizaines de bauges d’ours2 avec d’impressionnantes griffades. Mais la grotte conserve surtout des structures originales composées d’environ 400 stalagmites, ou tronçons de stalagmites, accumulées et agencées en des formes plus ou moins circulaires. Elles sont associées à des témoins d’utilisation du feu : de la calcite rougie, noircie par la suie et éclatée par l’action de la chaleur, mais aussi des vestiges brûlés, notamment des os calcinés. Dès 1995, une première équipe de chercheurs et de spéléologues3 avait déterminé, à partir de la datation au carbone 14, un âge minimum d’au moins 47 600 ans (la limite de la technique) d’un os brûlé sans qu’une suite soit donnée à ces premiers travaux.

Des structures de stalagmites étonnantes pour un nouveau concept : des « spéléofacts »

C’est à partir de 2013 qu’une équipe de chercheurs, avec le soutien du service régional de l’archéologie de la Drac Midi-Pyrénées, a lancé une nouvelle série d’études et d’analyses. Outre le relevé 3D des structures de stalagmites et l’inventaire des éléments constituant les structures, l’étude magnétique, qui permet de révéler les anomalies occasionnées par la chaleur, a permis d’établir une carte des vestiges brûlés retrouvés dans cette partie de la grotte. Ces feux représentent, a priori, de simples points d’éclairage.

Aucune autre structure de stalagmites de cette ampleur n’étant connue à ce jour, l’équipe a développé un nouveau concept, celui de « spéléofacts », pour nommer ces stalagmites brisées et agencées. L’inventaire de ces 400 spéléofacts montre des stalagmites agencées et bien calibrées qui totalisent 112 mètres cumulés et un poids estimé à 2,2 tonnes de matériaux déplacés. Ces structures sont composées d’éléments alignés, juxtaposés et superposés (sur 2, 3 et même 4 rangs), avec des étais extérieurs, comme pour les consolider, et des éléments de calage. Des traces d’arrachement des stalagmites empruntées pour la construction sont observables à proximité.

Sur les traces des premiers « spéléologues »

Les sols alentour n’ont livré aucun vestige pouvant aider à dater cet ensemble : une croûte épaisse de calcite fige en effet les structures et dissimule le sol d’origine. Les chercheurs ont donc utilisé, avec le concours de collègues des universités de Xi’an (Chine) et du Minnesota (USA), une méthode de datation appelée uranium-thorium (U-Th) basée sur les propriétés radioactives de l’uranium, omniprésent en faible quantité dans l’environnement. Au moment de la formation des stalagmites, l’uranium est incorporé dans la calcite. Au fil du temps, l’uranium se désintègre en d’autres éléments, dont le thorium (Th). Il suffit donc de doser, dans la calcite de la stalagmite, le thorium produit et l’uranium restant pour en connaître l’âge.

Pour construire ces structures, il a été nécessaire de fragmenter les stalagmites et de les transporter. Une fois abandonnées, de nouvelles couches de calcite, comprenant aussi des repousses de stalagmites, se sont développées sur celles déplacées et édifiées par l’Homme. En datant la fin de croissance des stalagmites utilisées dans les constructions et le début des repousses scellant ces mêmes constructions, les chercheurs sont parvenus à estimer l’âge de ces agencements, soit 176 500 ans, à ± 2000 ans. Un second échantillonnage de calcite, notamment sur un os brûlé, a permis de confirmer cet âge, étonnamment ancien.

Les premiers Néandertals : explorateurs et bâtisseurs ?

L’existence même de ces structures était déjà en soi étonnante, quasi unique dans le registre archéologique, toutes périodes confondues. Pour la Préhistoire, il faut en effet attendre le début du Paléolithique récent4 en Europe, et ponctuellement en Asie du Sud-Est ou en Australie pour noter les premières incursions pérennes de l’Homme dans le milieu souterrain, au-delà de la lumière du jour. Ce sont presque toujours des dessins, des gravures, des peintures, comme dans les grottes de Chauvet (- 36 000 ans), de Lascaux (- 22 000 à – 20 000 ans), d’Altamira en Espagne ou encore de Niaux (- 18 000 à -15 000 ans pour les deux sites) et, exceptionnellement, des sépultures (grotte de Cussac, Dordogne : – 28 500 ans). Or, à Bruniquel, l’âge des structures de stalagmites est bien antérieur à l’arrivée de l’Homme moderne en Europe (- 40 000 ans). Les auteurs de ces structures seraient donc les premiers hommes de Néandertal5, pour lesquels la communauté scientifique ne supposait aucune appropriation de l’espace souterrain, ni une maîtrise aussi perfectionnée de l’éclairage et du feu, et guère plus des constructions aussi élaborées.

De nouvelles questions autour de Néandertal

Près de 140 millénaires avant l’Homme moderne, les premiers représentants européens de Néandertal se seraient donc approprié les grottes profondes, y construisant des structures complexes, y apportant et entretenant des feux. Ces structures intriguent beaucoup les chercheurs à cause de leur distance par rapport à l’entrée actuelle et supposée de la grotte à l’époque. Ils s’interrogent quant à la fonction de tels aménagements, si loin de la lumière du jour. Si l’on écarte l’hypothèse peu viable d’un refuge, les structures étant trop loin de l’entrée, était-ce pour trouver des matériaux dont l’usage ou la fonction nous échappe ? S’agissait-il de raisons «techniques » comme le stockage de l’eau par exemple ? Ou de lieux de célébration d’un rite ou d’un culte ? D’une manière plus générale, les chercheurs constatent le haut degré d’organisation sociale des Néandertaliens nécessaire à une telle construction. Les recherches à venir tenteront donc d’apporter des explications sur la fonction de ces structures, principale question non résolue à ce jour.

Une équipe internationale et pluridisciplinaire

Ces travaux ont associé les laboratoires suivants :
–    Le laboratoire « de la Préhistoire à l’actuel : culture, environnement et anthropologie » (PACEA – CNRS/Université de Bordeaux/ministère de la Culture et la Communication) avec Jacques Jaubert, Catherine Ferrier, et Frédéric Santos.
–    L’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB), Bruxelles, Belgique, avec Sophie Verheyden et Christian Burlet.
–    Le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE – CNRS/CEA/UVSQ) avec Dominique Genty, Dominique Blamart, et Édouard Régnier.
–    L’Université de Mons, Belgique, avec Serge Delaby.
–    Le laboratoire Archéovision (CNRS/Université de Bordeaux Montaigne) pour le relevé en 3D des structures, avec Pascal Mora.
–    Le laboratoire « Littoral, environnement et sociétés » (CNRS/Université La Rochelle) pour les analyses magnétiques des traces de feux, avec François Lévêque.
–    Le Laboratoire de géologie de l’Ecole Normale Supérieure (CNRS/ENS Paris) pour les analyses Raman avec Damien Deldique et Jean-Noël Rouzaud.
–    L’université Xi’an en Chine et l’université du Minnesota aux États-Unis avec Hai Cheng et Lawrence R. Edwards.
–    Des équipes des sociétés Hypogée, Archéosphère (France) GETinSITU (Suisse) pour les relevés topographiques.

Les opérations de recherche archéologiques ont été financées par la Drac Midi-Pyrénées et les différentes institutions. La Société spéléo-archéologique de Caussade, présidée par Michel Soulier, a assuré la gestion du site, la couverture photographique et le soutien technique et logistique durant les opérations programmées.

Une demande de protection au titre des monuments historiques est en cours auprès du ministère de la Culture et de la Communication, de même qu’un suivi climatique et des mesures d’équipement et de protection adaptées. Les opérations de recherche devraient se poursuivre en 2016.

La grotte de Bruniquel est située sur une propriété privée et toute visite est strictement impossible.

 

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